- Auteur(e)
Jean-Paul Farré
- Mise en Scène
Anne Bourgeois
- Production
Théâtre National de Chaillot
Première/Création le 01-01-2002
Lieu : Théâtre National de Chaillot
place du Trocadéro, Paris, 75016, France
Quelques notes de Anne Bourgeois
Le point de départ du texte
Je m’intéresse à cette histoire d’invasion de personnages.
Le personnage, et surtout le personnage de théâtre, est l’argument obsessionnel du texte.
La pièce de théâtre formée par la succession de ces obsessions prend un sens presque politique si on pousse à l’extrême la question du personnage au théâtre. D’autant qu’il n’est pas innocent que ce soit un acteur qui ait écrit ce texte, acteur on le sait, spécialisé dans l’invention d’univers baroques où le personnage exulte en tant qu’individualité.
Les gens de théâtre, les gens d’écriture, les philosophes, s’interrogent toujours sur la notion de personnage : certains metteurs en scène prétendent ne pas croire au concept du personnage mais à l’acteur. Pourtant, dans les écoles de théâtre, les professeurs fondent l’approche des textes sur la recherche du personnage… Il y a même de quoi rendre fou un acteur qui s’engage au plus profond de lui-même dans sa composition et qui ne distingue plus ce qui lui est propre de ce qu’il a créé.
Dans ces dialogues, je voudrais démesurer l’usage qui est fait de ces dizaines de personnages mythiques du théâtre, sans cesse évoqués par deux individus. Ces deux individus que j’imagine englués dans l’obsession du théâtre, incapables de se contenter d’une réalité sans héros dramatiques. Il me semble que ces deux types sont eux-mêmes des personnages de théâtre, qui se convoquent l’un l’autre et tous leurs semblables avec plus ou moins d’appétit, tout simplement parce que sous leur identité de fiction se cachent deux acteurs, nus, vides, débarrassés de toute existence dramaturgique, bref des acteurs d’aujourd’hui épris de jeu et de costumes qui se retrouveraient peau contre peau sur une route de campagne.
Evidemment, je pense à Beckett, à ce postulat drôle seulement au théâtre où l’on décide que chacun agace l’autre mais que les deux restent ensemble, au fait que quelque chose dans la composition chimique de l’existence empêche les êtres de fuir leur condition, de se fuir l’un l’autre, de fuir tout court. Je crois que ces dialogues forment une véritable histoire horrible et triste où l’on rira tout le temps, dans laquelle nous assisterons à la lente décomposition de la théâtralité et à l’émergence des acteurs nus et consternés…
La mise en scène aurait pour but d’illustrer cette évolution du « trop » vers le « rien », de l’hyper-théâtralité vers le dénuement, du personnage vers l’acteur.
Il y a dans l’écriture de Jean-Paul Farré un aspect épuisant d’intranquillité qui me fait dire que ces dialogues, en systématisant la question du personnage, sont un immense hommage au théâtre. Comme j’aimerais matérialiser cet aspect de la pièce, il faut que la hantise du personnage soit palpable, réelle, omniprésente. Les héros évoqués sont des légendes, des points de repère pour des millions de spectateurs à travers les siècles et leur présence lancinante dans les dialogues renvoie à la désuétude des deux joueurs qui se perdent dans l’immensité de l’art dramatique. L’humour est là. Qui sont ces deux types qui jacassent : de pauvres acteurs piégés par le côté lisse de ce qui reste quand il n’y a plus de personnage. Tout se mélange, comme dans Pirandello, et cela ne fait rire que le spectateur.
La négation de l’acteur… ou du personnage?
Qu’est-ce qui légitime la présence de personnages sur un plateau de théâtre, qu’est-ce qui légitime leurs bavardages, qu’est-ce qui les empêche de quitter la scène ? Peut-être seulement la conscience qu’ils ont de leur théâtralité, de leur non-existence en dehors de cette zone offerte aux spectateurs. J’aimerais que les deux compères découvrent qu’ils parlent parce qu’ils sombrent, parce qu’ils sont des acteurs de théâtre peu à peu dépouillés de leurs personnages, de leurs accessoires, costumes, caractères. Qu’ils ne peuvent se débattre que sur scène pour garder le plus longtemps possible les attributs du théâtre, même si, de minute en minute, de dialogue en dialogue, la matière s’épuise, le personnage les quitte. Comme s’ils fondaient et redoutaient de voir apparaître leur véritable ossature. Ainsi donc, il y aurait au départ du spectacle « le personnage », glorifié, magnifié, empanaché, incarnation d’une théâtralité absolue et démesurément matérialisée, et qui subirait en cours de spectacle la métamorphose inverse du procédé de création : la marche arrière pour revenir à « l’acteur », petit, fragile, perdu sans son personnage, divisé, démultiplié, nié…
Alors pour reprendre l’approche de Jean-Paul dont le théâtre a toujours été hors-norme et plein de questionnement sur lui-même, l’on peut s’amuser à travers ses dialogues à se demander si, en ce début de XXIème siècle, le théâtre se déguste épuré ou surchargé, nourri des mythes du passé ou débarrassé de l’imaginaire et si nous allons vers lui avec fatigue ou gourmandise.
Que voit-on? Quelle scénographie, quels costumes? Que joue-t-on?
Le rideau s’ouvrirait sur l’image hypertrophiée de l’idée du théâtre tel que des enfants pourraient le décrire , une illustration caricaturée de la théâtralité : des tentures rouges dressées avec indécence dans de multiples endroits, une profusion de glands, pompons, trompe-l’œil, bustes de carton-pâte, des tentatives de scènes et tréteaux en réduction ici et là, drisses, guindes et projecteurs posés à même le sol pour insister presque « historiquement » sur l’idée de la représentation et mettre en cage les acteurs/personnages.
Les deux acteurs, probablement ravis, sont partie intégrante du décor. On les découvre écrasés de théâtre, momifiés, paralysés par des siècles d’histoire, engoncés dans la littérature dramatique, investis par leurs énormes costumes d’illustres personnages, panel de tout ce qui est vulgairement l’apanage des héros.
Au fil des dialogues, peut-être entre les cycles lorsque les noms des personnages changent, la scène et les acteurs, vont subir une sorte « d épuration ». L’univers sonore lui-même, intervenant ponctuellement sous forme de bribes confuses de répliques de théâtre, de voix célèbres de metteurs en scène ou d’acteurs illustres, d’applaudissements sourds etc…va petit à petit se raréfier, subir des ratés, devenir méconnaissable.
Bref, l’on passerait d’un théâtre à un autre, tandis que les acteurs perdraient des couches de leurs costumes et que le plateau se débarrasserait de ses fioritures.
Et puis, de temps à autre, dans un bruit mat, tomberaient des cintres des pantins de chiffons, image de la chute et de l’automne, illustration des personnages morts qui hantent l’imaginaire des deux survivants. A l’aide de fils qui montent vers le grill et en utilisant des feuilles d’arbre, on libère le plateau des objets, l’on enfoui les petites choses qui persistent du décorum, l’on crée les conditions de la peur panique chez les deux personnages qui luttent contre un dénuement inexorable. L’un et l’autre sentent bien que le théâtre s’effrite, que quelque chose les quitte, que c’est la mort du personnage.
Le rapport de l’un à l’autre
On pourra tout exploiter dans la gamme de l’infiniment joué au sens de « composé », à l’infiniment sincère au sens de « quotidien » : les personnages vont rivaliser aussi sur l’amusement, leur compétition est aussi celle du plus drôlement efficace. Mais ils vont également tenter d’échapper l’un à l’autre, de lutter contre le pourrissement de leur image, ils vont se tendre des pièges, précipiter la déchéance de l’autre, ils vont s’aimer aussi, se frapper, parfois perdre courage, refuser le dialogue.
Mais comme dans Godot, le premier héros mentionné par Jean-Paul, ils comprendront vite qu’il n’y a nulle part où s’enfuir : et même si l’on parvient à s’arracher à l’autre et à s’éloigner, les signes de la fin du personnage se font plus pressants, plus menaçants, alors on reste… Il faut que le spectateur comprenne que les personnages sont condamnés à vivre cette progression vers le dénuement, que c’est une course qu’on ne peut pas arrêter.
Les rapports entre l’un et l’autre sont donc ceux de l’écriture contemporaine : contradictions, obsessions, liens ambigus : on veut éliminer son frère de drame, être plus fort que lui, et puis on se reconnaît en lui, on veut le protéger, préserver soudain sa bonne humeur, on le divertit, on s’amuse… Que reste t-il à la fin du spectacle, lorsque la scène enfin propre a un parfum d’hécatombe? …Deux acteurs très fatigués qui n’osent plus bouger, privés de théâtre et d’incarnation, se tournant plein d’espoir vers un domaine inexploré : le cinéma?
Je m’intéresse à cette histoire d’invasion de personnages.
Le personnage, et surtout le personnage de théâtre, est l’argument obsessionnel du texte.
La pièce de théâtre formée par la succession de ces obsessions prend un sens presque politique si on pousse à l’extrême la question du personnage au théâtre. D’autant qu’il n’est pas innocent que ce soit un acteur qui ait écrit ce texte, acteur on le sait, spécialisé dans l’invention d’univers baroques où le personnage exulte en tant qu’individualité.
Les gens de théâtre, les gens d’écriture, les philosophes, s’interrogent toujours sur la notion de personnage : certains metteurs en scène prétendent ne pas croire au concept du personnage mais à l’acteur. Pourtant, dans les écoles de théâtre, les professeurs fondent l’approche des textes sur la recherche du personnage… Il y a même de quoi rendre fou un acteur qui s’engage au plus profond de lui-même dans sa composition et qui ne distingue plus ce qui lui est propre de ce qu’il a créé.
Dans ces dialogues, je voudrais démesurer l’usage qui est fait de ces dizaines de personnages mythiques du théâtre, sans cesse évoqués par deux individus. Ces deux individus que j’imagine englués dans l’obsession du théâtre, incapables de se contenter d’une réalité sans héros dramatiques. Il me semble que ces deux types sont eux-mêmes des personnages de théâtre, qui se convoquent l’un l’autre et tous leurs semblables avec plus ou moins d’appétit, tout simplement parce que sous leur identité de fiction se cachent deux acteurs, nus, vides, débarrassés de toute existence dramaturgique, bref des acteurs d’aujourd’hui épris de jeu et de costumes qui se retrouveraient peau contre peau sur une route de campagne.
Evidemment, je pense à Beckett, à ce postulat drôle seulement au théâtre où l’on décide que chacun agace l’autre mais que les deux restent ensemble, au fait que quelque chose dans la composition chimique de l’existence empêche les êtres de fuir leur condition, de se fuir l’un l’autre, de fuir tout court. Je crois que ces dialogues forment une véritable histoire horrible et triste où l’on rira tout le temps, dans laquelle nous assisterons à la lente décomposition de la théâtralité et à l’émergence des acteurs nus et consternés…
La mise en scène aurait pour but d’illustrer cette évolution du « trop » vers le « rien », de l’hyper-théâtralité vers le dénuement, du personnage vers l’acteur.
Il y a dans l’écriture de Jean-Paul Farré un aspect épuisant d’intranquillité qui me fait dire que ces dialogues, en systématisant la question du personnage, sont un immense hommage au théâtre. Comme j’aimerais matérialiser cet aspect de la pièce, il faut que la hantise du personnage soit palpable, réelle, omniprésente. Les héros évoqués sont des légendes, des points de repère pour des millions de spectateurs à travers les siècles et leur présence lancinante dans les dialogues renvoie à la désuétude des deux joueurs qui se perdent dans l’immensité de l’art dramatique. L’humour est là. Qui sont ces deux types qui jacassent : de pauvres acteurs piégés par le côté lisse de ce qui reste quand il n’y a plus de personnage. Tout se mélange, comme dans Pirandello, et cela ne fait rire que le spectateur.
La négation de l’acteur… ou du personnage?
Qu’est-ce qui légitime la présence de personnages sur un plateau de théâtre, qu’est-ce qui légitime leurs bavardages, qu’est-ce qui les empêche de quitter la scène ? Peut-être seulement la conscience qu’ils ont de leur théâtralité, de leur non-existence en dehors de cette zone offerte aux spectateurs. J’aimerais que les deux compères découvrent qu’ils parlent parce qu’ils sombrent, parce qu’ils sont des acteurs de théâtre peu à peu dépouillés de leurs personnages, de leurs accessoires, costumes, caractères. Qu’ils ne peuvent se débattre que sur scène pour garder le plus longtemps possible les attributs du théâtre, même si, de minute en minute, de dialogue en dialogue, la matière s’épuise, le personnage les quitte. Comme s’ils fondaient et redoutaient de voir apparaître leur véritable ossature. Ainsi donc, il y aurait au départ du spectacle « le personnage », glorifié, magnifié, empanaché, incarnation d’une théâtralité absolue et démesurément matérialisée, et qui subirait en cours de spectacle la métamorphose inverse du procédé de création : la marche arrière pour revenir à « l’acteur », petit, fragile, perdu sans son personnage, divisé, démultiplié, nié…
Alors pour reprendre l’approche de Jean-Paul dont le théâtre a toujours été hors-norme et plein de questionnement sur lui-même, l’on peut s’amuser à travers ses dialogues à se demander si, en ce début de XXIème siècle, le théâtre se déguste épuré ou surchargé, nourri des mythes du passé ou débarrassé de l’imaginaire et si nous allons vers lui avec fatigue ou gourmandise.
Que voit-on? Quelle scénographie, quels costumes? Que joue-t-on?
Le rideau s’ouvrirait sur l’image hypertrophiée de l’idée du théâtre tel que des enfants pourraient le décrire , une illustration caricaturée de la théâtralité : des tentures rouges dressées avec indécence dans de multiples endroits, une profusion de glands, pompons, trompe-l’œil, bustes de carton-pâte, des tentatives de scènes et tréteaux en réduction ici et là, drisses, guindes et projecteurs posés à même le sol pour insister presque « historiquement » sur l’idée de la représentation et mettre en cage les acteurs/personnages.
Les deux acteurs, probablement ravis, sont partie intégrante du décor. On les découvre écrasés de théâtre, momifiés, paralysés par des siècles d’histoire, engoncés dans la littérature dramatique, investis par leurs énormes costumes d’illustres personnages, panel de tout ce qui est vulgairement l’apanage des héros.
Au fil des dialogues, peut-être entre les cycles lorsque les noms des personnages changent, la scène et les acteurs, vont subir une sorte « d épuration ». L’univers sonore lui-même, intervenant ponctuellement sous forme de bribes confuses de répliques de théâtre, de voix célèbres de metteurs en scène ou d’acteurs illustres, d’applaudissements sourds etc…va petit à petit se raréfier, subir des ratés, devenir méconnaissable.
Bref, l’on passerait d’un théâtre à un autre, tandis que les acteurs perdraient des couches de leurs costumes et que le plateau se débarrasserait de ses fioritures.
Et puis, de temps à autre, dans un bruit mat, tomberaient des cintres des pantins de chiffons, image de la chute et de l’automne, illustration des personnages morts qui hantent l’imaginaire des deux survivants. A l’aide de fils qui montent vers le grill et en utilisant des feuilles d’arbre, on libère le plateau des objets, l’on enfoui les petites choses qui persistent du décorum, l’on crée les conditions de la peur panique chez les deux personnages qui luttent contre un dénuement inexorable. L’un et l’autre sentent bien que le théâtre s’effrite, que quelque chose les quitte, que c’est la mort du personnage.
Le rapport de l’un à l’autre
On pourra tout exploiter dans la gamme de l’infiniment joué au sens de « composé », à l’infiniment sincère au sens de « quotidien » : les personnages vont rivaliser aussi sur l’amusement, leur compétition est aussi celle du plus drôlement efficace. Mais ils vont également tenter d’échapper l’un à l’autre, de lutter contre le pourrissement de leur image, ils vont se tendre des pièges, précipiter la déchéance de l’autre, ils vont s’aimer aussi, se frapper, parfois perdre courage, refuser le dialogue.
Mais comme dans Godot, le premier héros mentionné par Jean-Paul, ils comprendront vite qu’il n’y a nulle part où s’enfuir : et même si l’on parvient à s’arracher à l’autre et à s’éloigner, les signes de la fin du personnage se font plus pressants, plus menaçants, alors on reste… Il faut que le spectateur comprenne que les personnages sont condamnés à vivre cette progression vers le dénuement, que c’est une course qu’on ne peut pas arrêter.
Les rapports entre l’un et l’autre sont donc ceux de l’écriture contemporaine : contradictions, obsessions, liens ambigus : on veut éliminer son frère de drame, être plus fort que lui, et puis on se reconnaît en lui, on veut le protéger, préserver soudain sa bonne humeur, on le divertit, on s’amuse… Que reste t-il à la fin du spectacle, lorsque la scène enfin propre a un parfum d’hécatombe? …Deux acteurs très fatigués qui n’osent plus bouger, privés de théâtre et d’incarnation, se tournant plein d’espoir vers un domaine inexploré : le cinéma?
En Résumé
Avec son complice Jean-Jacques Moreau, Jean-Paul Farré s'amuse, évidemment, de nos doutes, comme de nos certitudes. Mais par ce dialogue qui rebondit à travers toute la littérature dramatique, il rend hommage à ceux qui, auteurs et acteurs, ont inventé les êtres uniques qui nous sont nécessaires.
Jean-Paul Farré convoque les héros de la littérature dramatique : Godot, Othello, Roméo, Cyrano, Arlecchino. Son complice, Jean-Jacques Moreau, appelle l’Arlésienne, Chimène, Hélène, Célimène... L’un est l’auguste, l’autre le clown blanc. Et le spectateur n'a pas fini d'en rire.
Jean-Paul Farré convoque les héros de la littérature dramatique : Godot, Othello, Roméo, Cyrano, Arlecchino. Son complice, Jean-Jacques Moreau, appelle l’Arlésienne, Chimène, Hélène, Célimène... L’un est l’auguste, l’autre le clown blanc. Et le spectateur n'a pas fini d'en rire.
Distribution
- Jean-Paul Farré
- Jean-Jacques Moreau
Équipe
- Scénographie
- Jacques Voizot
- Costumes
- Pascale Bordet
Galerie d'Images
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